"L'agriculture est la première victime du changement climatique" - Interview de Guillaume Panthou, Stock CO2
Le MaGAZine reçoit aujourd’hui Guillaume Panthou, cofondateur de Stock CO2, un acteur français de la captation de CO2 par le développement de projets ambitieux. Leur terrain de jeu ? Les forêts et les exploitations agricoles. Leur mission : capter un maximum de CO2, et avec la manière (en rémunérant au mieux les stockeurs).
Le MaGAZine : Pouvez-vous nous présenter votre entreprise en quelques mots ?
Guillaume Panthou (Stock CO2) : Fondée en 2019, Stock CO2 est une entreprise certifiée B-Corp qui s'engage dans la lutte contre le changement climatique à travers des projets de reforestation et de la transition écologique agricole. Avec plus de 2 millions d'arbres plantés en France et plus de 30,000 hectares de terres agricoles en transition, Stock CO2 permet aux entreprises de soutenir des initiatives locales, portées par des Stockeurs, qui accélère la lutte contre le dérèglement climatique.
Le MaGAZine : Avant d'aller plus loin, rappelons peut-être ce qu'est un crédit carbone...
Guillaume Panthou (Stock CO2) : Un crédit carbone représente la séquestration ou l'évitement d'une tonne d'équivalent CO2, mesurée par la différence entre un scénario de référence (par exemple, une prairie se transformant naturellement en friche) et un scénario projet (comme la création d'un massif forestier favorisant la biomasse).
Cette approche d'additionnalité assure que les projets financés apportent une réelle valeur ajoutée en termes de lutte contre le changement climatique.
Le MaGAZine : Pouvez-vous nous parler des types de projets compensation que vous proposez ?
Guillaume Panthou (Stock CO2) : Stock CO2 est un opérateur carbone "multisectoriel", c'est-à-dire que nous développons divers projets dans le cadre du Label Bas-Carbone, en suivant des méthodes (protocoles de modélisation carbone) établi et défini par le Ministère de la Transition Écologique. Nous réalisons des projets de boisement, reboisement, amélioration des pratiques agricoles (en élevage et en grandes cultures), la plantation de vergers, de haies bocagères, et le réemploi de matériaux dans la construction avec des matériaux bio-sourcés. Ces initiatives sont conçues pour séquestrer du carbone et réduire l'empreinte carbone des secteurs émissifs.
Le MaGAZine : Des projets agricoles ? Vous pouvez nous en dire plus ?
Guillaume Panthou (Stock CO2) : L'agriculture est la première victime du changement climatique et dans le même temps, elle génère 19% des émissions de gaz à effet de serre (GES) françaises. C'est le paradoxe dans lequel nos agriculteurs doivent vivre tous les jours.
Si je dois résumer, notre mission est d'accompagner les agriculteurs vers plus de résilience grâce à des sols vivants capables de résister aux phénomènes météorologiques intenses (inondations, sécheresse, etc.). On a souvent tendance à oublier que l'une des plus grande extinction de masse des 50 dernières années concerne les vers de terre. Avec les pratiques agricoles des dernières décennies, nous n'avons laissé aucune chance au vers de terre pour qu'il fasse son travail d'enrichissement et d'aération des sols. Le labour profond détruit les horizons des sols et expose les lombrics aux rapaces, l'épandage d'intrants et de produits phytosanitaires attaque la biodiversité (sur et sous terre) et le manque de matière organique prive le sol de nutriment.
Stock CO2 propose d'accompagner les agriculteurs pour identifier d'où proviennent leurs émissions de GES et de définir un plan d'action pour les réduire, voire les éviter complètement. Lorsque nous travaillons avec un agriculteur, nous procédons ainsi :
1-Diagnostic de l'empreinte carbone : Nous commençons par offrir aux agriculteurs un moyen simple et rapide, via notre outil Carbon'Diag, pour évaluer leur empreinte carbone en seulement 30 minutes. Cet outil est conçu pour être accessible et fournir un aperçu clair et rapide des émissions liées à leurs activités.
2-Identification des améliorations : En collaboration avec les agriculteurs et leurs conseillers techniques, nous identifions ensemble des pistes d'amélioration. Grâce à des simulations, les agriculteurs peuvent visualiser l'impact des modifications de pratiques sur leur empreinte carbone, en particulier concernant les intrants agricoles.
3-Élaboration d'un plan d'action : Nous accompagnons ensuite les agriculteurs dans l'élaboration d'un plan d'action quinquennal visant à réduire leur empreinte carbone durablement. Ce plan peut inclure, par exemple, l'introduction de légumineuses qui fixent naturellement l'azote dans le sol ou la mise en place de couverts végétaux, comme le trèfle, entre deux cultures, favorisant ainsi des pratiques agricoles régénératives.
4-Suivi et adaptation : Un suivi régulier permet d'accompagner l'agriculteur sur le temps long. La transition écologique doit être "douce" pour ne pas perturber l'équilibre économique, c'est-à-dire que l'agriculteur doit continuer à produire autant afin de conserver ses revenus tout en réduisant son impact. Nous ajustons le plan d'action selon les résultats obtenus et les retours d'expérience, garantissant ainsi une amélioration continue.
5-Financement de la transition : Après 12 mois de mise en œuvre des nouvelles pratiques, les agriculteurs reçoivent leur première rémunération pour la réduction de leur empreinte carbone, symbolisant un "13ème mois TERRA" en faveur de la transition écologique, renaturation et résilience agricole (TERRA). Cette rémunération est annuelle pendant 5 ans.
Par cette démarche, Stock CO2 vise non seulement à réduire les émissions de GES issues de l'agriculture mais également à soutenir les agriculteurs dans leur adaptation aux changements climatiques, renforçant ainsi leur résilience et leur capacité à poursuivre une production durable et respectueuse de l'environnement.
Le MaGAZine : Et pour mesurer l'efficacité des projets ?
Guillaume Panthou (Stock CO2) : Au bout de 5 à 6 ans, un audit indépendant est réalisé par un organisme accrédité pour vérifier la réduction de l'empreinte carbone de l'exploitation. Cet audit permet d'évaluer l'efficacité des mesures adoptées et leur impact réel sur l'environnement.
Depuis la création de Stock CO2 en 2019, nous avons eu l'opportunité d'accompagner plus de 350 stockeurs. Cette expérience nous a permis de recueillir des retours précieux, tant sur l'efficacité de nos initiatives de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) que sur les bénéfices économiques pour les agriculteurs engagés.
Concernant les avantages financiers pour nos agriculteurs partenaires, les "13eme mois TERRA" varient de 1 200€ à 15 000€ par an. Cet écart reflète la diversité des exploitations françaises ainsi que différents d'ampleur des efforts déployés pour réduire l'empreinte carbone. Ces revenus supplémentaires ne sont pas une récompense mais une garantie pour l'agriculteur que dans sa transition et face au risque de changement qu'il prend il aura un revenu.
Le MaGAZine : En dépit de toutes vos procédures, ne craignez-vous pas de faire les frais des scandales affectant la compensation carbone ?
Guillaume Panthou (Stock CO2) : Les scandales liés aux crédits carbone soulèvent des inquiétudes légitimes chez les contributeurs quant à l'efficacité réelle et l'intégrité des projets de compensation carbone. Ces préoccupations sont principalement dues à des problèmes d'additionalité carbone et de gestion financière des projets. Pour adresser ces enjeux et garantir la confiance dans notre action, Stock CO2 met en place plusieurs mesures robustes.
En France, le Label Bas-Carbone joue un rôle clé dans l'assurance de l'efficacité des crédits carbone. L'additionalité carbone, c'est-à-dire la garantie que les crédits financent des réductions ou séquestrations de CO2 qui n'auraient pas eu lieu sans le projet, est une condition sine qua non pour l'éligibilité des projets. Cette vérification est effectuée par les Directions Régionales de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) qui s'assurent de la conformité des projets aux critères stricts établis par le Ministère de la Transition Écologique.
Pour aller au-delà des exigences réglementaires et offrir des garanties supplémentaires à nos contributeurs, Stock CO2 a innové en collaborant avec la Caisse des Dépôts pour créer la première fiducie environnementale en France. Ce dispositif vise à sécuriser les financements des projets, en veillant à ce que les fonds soient utilisés de manière transparente et conforme aux objectifs de réduction des émissions de carbone. Nous collaborons également avec Groupama depuis trois ans pour développer des solutions d'assurance adaptées aux risques spécifiques liés aux projets forestiers et agricoles. Ces assurances sont conçues pour protéger les investissements contre les aléas climatiques ou autres incidents, renforçant ainsi la résilience des projets à long terme.
Le MaGAZine : Comment voyez-vous votre développement à moyen terme ? Des projets de développement à l’international ?
Guillaume Panthou (Stock CO2) : À court et moyen terme, notre objectif est de consolider notre statut de premier opérateur multisectoriel du Label Bas-Carbone, une initiative soutenue par le ministère de la Transition Écologique. Cette ambition implique de poursuivre notre démarche holistique, en assurant une approche intégrée qui couvre différents secteurs d'activité. Nous visons à continuer d'offrir des crédits carbone de haute qualité environnementale, contribuant ainsi directement à la lutte contre le changement climatique et à la transition écologique. Cette phase de consolidation est cruciale pour valider l'efficacité de nos méthodologies sur le territoire national.
Parallèlement, nous portons une attention particulière au développement futur du marché européen. Reconnaissant l'importance d'une approche transfrontalière dans la lutte contre le changement climatique, nous considérons de développer nos activités dans d'autres pays européens dans le futur. Ce développement hors de l'hexagone consistera principalement à accompagner nos contributeurs sur leurs différents sites à travers l'Europe, en adaptant nos stratégies et nos outils aux spécificités locales et aux réglementations de chaque pays.
Le MaGAZine : Merci pour votre intervention !